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« JANVIER SOBRE » OU COMMENT PROPOSER DES OBJECTIFS POUR TOUS

En réponse à un texte précédent, un lecteur a souhaité insister sur l’intérêt de l’abstinence : « la solution, c’est l’abstinence totale ». Ce correspondant en est à plus de 30 ans d’abstinence ce qui démontre la qualité de sa démarche. Toutefois, ce qui a été indispensable pour lui, ne l’est pas forcément pour tout le monde. En effet, l’abstinence est souvent la solution pour des patients ayant une forte dépendance et qui ne peuvent pas contrôler leur consommation au long cours. Préciser « au long cours » n’est pas anodin, car parvenir à gérer sa consommation pendant quelques semaines pour être dépassé ensuite, ne définit pas un contrôle de sa consommation. 

Les patients très dépendants n’ayant d’autre choix que l’abstinence ne représentent toutefois pas la majorité des consommateurs excessifs d’alcool. Le gros de la troupe est composé de personnes qui peuvent simplement avoir de mauvaises habitudes, ou qui évoluent dans un milieu où la consommation moyenne est élevée, ou qui ne rendent pas compte qu’elles consomment trop. L’abstinence totale n’est pas un objectif réaliste pour ces personnes, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il ne faut pas les aider.

C’est pour cela que depuis quelques années les sociétés savantes françaises et européennes ont inclus la diminution de consommation dans les stratégies de prise en charge. Il s’agit d’une modalité qui NE REMPLACE PAS l’abstinence, mais représente UNE MODALITÉ SUPPLÉMENTAIRE. Le but est d’aider le plus grand nombre avec des traitements adaptés à chacun. Pour information, vous trouverez un questionnaire de dépendance proposé par l’OMS. Il faut, pour être considéré comme patient dépendant, répondre positivement à au moins 3 questions.

Le texte qui a fait réagir le lecteur insistait sur le fait qu’une consommation élevée est toujours toxique, même chez quelqu’un qui n’est pas dépendant. Si les risques sont comparables, par contre les propositions de prise en charge peuvent différer en ces deux groupes. 

Généralement, l’abstinence totale est proposée en cas de dépendance sévère. Une proposition de réduction est par contre tout à fait adaptée en l’absence de dépendance.  

Même si le concept de réduction de consommation est actuellement admis, on peut comprendre qu’il puisse choquer certains patients dépendants qui n’ont retrouvé une vie satisfaisante qu’en stoppant totalement leur consommation. Cela amène tout naturellement à citer le projet de « Janvier Sobre » qui recouvre une action de santé publique mais qui correspond aussi au nom d’une association JanvierSobre.fr. 

Leur proposition d’action pour le mois de janvier 2021 est tout à fait intéressante puisqu’elle s’adresse à tous les types de consommateurs. 

L’association propose de « relever le défi dès le 1er janvier 2021 de façon ludique, collective et de profiter de ce mois sobre pour contrôler sa consommation ». Elle propose de « rester dans l’alcool plaisir en limitant ses dangers par le choix d’une consommation responsable, à moindre risque : boire moins et mieux ». 

Pour ceux qui ne le connaissent pas, allez visiter ce site qui donne des conseils adaptés à tous, qui insiste sur les risques de faire un sevrage seul, « sauvage », et qui alerte sur les symptômes de sevrage qui doivent inquiéter. 

Ce qui remarquable, outre les conseils donnés, c’est que les membres qui s’identifient dans le site, se présentent comme « malade alcoolique-abstinent ». Il s’agit donc de patients qui ont dû se résoudre à accepter une abstinence totale et définitive pour s’en sortir. Pourtant, ils n’hésitent pas à proposer une stratégie de réduction de consommation. Cela s’explique par le fait qu’ils souhaitent mener une action de santé publique à destination du plus grand nombre. Merci pour ce message altruisme qui veut s’adresser à tous les consommateurs !

On sent aussi à travers les textes de « Janvier Sobre », que ses membres ont intégré les approches par paliers qui sont une des bases les plus importantes du soin alcoologique… et dont nous parlerons prochainement.

Annexe:

Questionnaire de dépendance proposé par l’OMS. 

Pour un diagnostic de certitude, au moins 3 des manifestations suivantes doivent habituellement avoir été présentes en même temps au cours de la dernière année : 

1. désir puissant ou compulsif de consommer de l’alcool 

2. difficultés à contrôler la consommation d’alcool

3. syndrome de sevrage physiologique quand le sujet diminue ou arrête la consommation d’alcool (syndrome de sevrage caractéristique ou consommation d’alcool pour soulager ou éviter les symptômes de sevrage) 

4. mise en évidence d’une tolérance aux effets de l’alcool : le sujet a besoin d’une quantité plus importante pour obtenir l’effet désiré 

5. abandon progressif d’autres sources de plaisir et d’intérêts au profit de la consommation d’alcool et augmentation du temps passé à s’en procurer, la consommer, ou récupérer de ses effets 

6. poursuite de la consommation d’alcool malgré la survenue de conséquences manifestement nocives

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Test: évaluez votre sentiment d’efficacité personnelle

Nous avons précédemment parlé de la « bibliothérapie » qui est une technique de soin non médicamenteuse qui peut aider à réduire sa consommation d’alcool. En effet, pour avoir envie d’avancer il est nécessaire d’être informé et d’analyser au mieux son état, d’autant que la démarche d’aller vers une baisse de consommation (ou une abstinence) demande souvent beaucoup d’efforts.

Pour se lancer, il faut aussi penser que l’objectif fixé n’est pas inaccessible, c’est-à-dire que l’on a les compétences personnelles pour l’obtenir. En effet, comment se lancer dans un combat que l’on ne se croit pas capable de gagner ? Cela demande donc de ressentir de la confiance en soi. Nous parlerons dans ce texte du « sentiment d’efficacité personnel » qui se définit comme notre niveau de croyance dans notre auto-efficacité.

Dans de nombreux domaines, on voit que ceux qui obtiennent des résultats éclatants n’ont généralement aucun doute sur leur niveau de capacité. Malgré les obstacles, ils continuent et finissent « tout naturellement » par aboutir. On n’entend pas un compositeur, un grand sportif, quelqu’un qui a réussi dans un domaine quel qu’il soit, exprimer qu’il n’a jamais penser avoir l’ombre d’un talent et qu’il n’a poursuivi ses efforts qu’en espérant qu’un coup de chance inouï puisse lui permette de réussir. Tous ces gens ont un sentiment d’auto-efficacité très affirmé qu’ils conservent intact, même s’ils traversent des moments difficiles. 

C’est pourquoi le sentiment d’auto-efficacité a été décrit comme étant au fondement du bien-être et des accomplissements humains. Est-ce que cela ne décrit pas ce que nous recherchons au quotidien ?

Or, il apparaît clairement que les personnes qui ont des pathologies addictives, en particulier des consommations excessives d’alcool, ont un déficit de confiance en soi. De plus, la poursuite de leur consommation, malgré les efforts qu’elles mettent en œuvre pour la combattre, finit par éroder leur « sentiment d’efficacité personnelle ».

Cela est préjudiciable pour le consommateur excessif d’alcool, car le « sentiment d’efficacité personnel » est un facteur pronostique majeur. En effet, dans les études scientifiques qui évaluent ce qui fait que certains patients atteignent plus que d’autres leurs objectifs concernant leur consommation d’alcool (réduction ou abstinence), le sentiment d’efficacité personnelle est l’un des seuls critères qui ressort quasiment toujours. 

En d’autres termes, il s’agit de l’une des principales clefs de la réussite.

Dans ces conditions, il semble utile de pouvoir évaluer notre sentiment d’efficacité personnelle et de trouver des moyens pour pouvoir l’augmenter

PETIT QUESTIONNAIRE POUR ÉVALUER SON SENTIMENT D’EFFICACITÉ PERSONNELLE

Voici les questions que vous pouvez vous poser pour réfléchir à votre sentiment d’efficacité personnel. Il s’agit de la traduction libre d’un questionnaire de langue anglaise, s’intéressant à la vie en générale, et non pas spécifiquement au rapport aux addictions. 

Bien sûr, il n’y a pas de score normal ou de score anormal. Le but est de se poser des questions sur son sentiment d’efficacité personnelle et donc de réfléchir sur ses forces et faiblesses. C’est un excellent moyen d’imaginer comment il est possible de gagner de la confiance en soi pour mieux gérer ses problèmes d’alcool. De plus, un score comme celui qui est proposé va être encore plus aidant si on observe son évolution dans le temps.

Pour chaque question, la note possible est :

1 = Pas du tout vrai

2 = A peine vrai

3 = Modérément vrai

4 = Tout à fait vrai

Je peux toujours résoudre des problèmes difficiles si je fais suffisamment d’efforts
Quand quelqu’un s’oppose à moi, je sais quand même trouver les moyens d’obtenir ce que je veux
Il est facile pour moi de m’en tenir à mes objectifs et de les atteindre
Je crois que je serais capable de gérer avec efficacité des événements imprévus
Grâce à ma débrouillardise, je sais gérer des situations imprévues
Je peux résoudre la plupart des problèmes si je m’investis suffisamment
Je peux rester calme face aux difficultés parce que je peux compter sur mes capacités d’adaptation
Lorsque je suis confronté à un problème, je peux généralement trouver plusieurs solutions
Quand j’ai des ennuis, je parviens généralement à trouver une solution
Je peux généralement gérer ce qui m’arrive
SCORE TOTAL (addition de l’ensemble des notes)

Une fois que vous avez fait votre bilan initial, ce qui importe vraiment, c’est de réfléchir à la façon d’améliorer ce score, c’est-à-dire de ressentir plus de confiance en soi. Ainsi que nous l’avons dit, c’est un élément majeur de réussite dans votre lutte contre l’alcool. C’est aussi un élément majeur d’épanouissement dans votre vie quotidienne.

En plus de tout ce que vous pourrez faire par vous-même, nous vous apporterons prochainement des pistes possibles pour améliorer votre sentiment d’efficacité personnelle.

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STRESS ET CONSOMMATION D’ALCOOL CHEZ LA FEMME

Femmes et Alcool – épisode 2

Les 10 années qui viennent de s’écouler, la fréquence des problèmes d’alcool augmente plus vite chez les femmes que chez les hommes : précisément 2,5 fois plus vite. À l’échelle d’une population, il s’agit de chiffres très importants. Cette différence ne peut donc pas être due simplement au hasard et il est donc fondamental d’en comprendre les raisons. 

Une des causes majeures suspectée est que les consommations féminines excessives sont volontiers motivées par le besoin de réguler des états émotionnels négatifs et des antécédents d’évènements de vie perturbants et traumatiques. 

Il est en effet bien démontré que les états émotionnels négatifs sont associés à toutes les phases de l’addiction à l’alcool, c’est-à-dire :

À l’initiation de la consommation

À la poursuite de la consommation 

Aux éventuelles rechutes 

Cela est vrai pour les hommes et les femmes, mais l’impact des états émotionnels négatifs est beaucoup plus important chez les femmes. Entre parenthèses, il existe d’autres domaines de la maladie alcoolique dans lesquels on observe une grande susceptibilité féminine, ce qui sera l’objet de prochains textes. 

L’ÉTAT ÉMOTIONNEL DANS L’ADOLESCENCE ET L’INITIATION DE LA CONSOMMATION

Ce qui nous arrive dans l’enfance ou l’adolescence nous marque particulièrement. Pendant ces périodes, ceux qui ressentent de façon prolongée des émotions négatives ont plus de risque de commencer l’alcool précocement et surtout d’aller vers des consommations plus fréquentes et importantes. Par exemple, il a été montré que chez des adolescents âgés de 15 à 18 ans, l’importance des symptômes de dépression était associée à des débuts de consommation plus précoce et des risques accrus d’évoluer vers la dépendance. 

Cela est vrai chez les garçons et les filles, mais l’association entre des difficultés émotionnelles et la prise d’alcool est plus forte chez les filles. Donc, le risque de boire de l’alcool pour faire face à un état émotionnel négatif est plus important chez les filles.

De même, la maltraitance dans l’enfance est un facteur bien documenté de risque de plusieurs pathologies à l’âge adulte incluant le mésusage d’alcool. Là encore, les jeunes femmes ont au moins 2 fois plus de risque de développer un mésusage d’alcool que les hommes de leur âge après avoir subi dans l’enfance un abandon affectif, une maltraitance psychologique ou un abus sexuel. 

Donc, il y a plus d’impact et plus de risque d’aller vers l’alcool pour se défendre d’états émotionnels négatifs chez les femmes que chez les hommes. Cela n’est pas lié à une moindre compétence ou force morale chez les femmes, mais à des différences neurobiologiques présentes dans l’adolescence, différences qui commencent à être bien documentée. Il n’est bien sûr, pas utile de préciser que les circuits neurobiologiques qui différent ne représentent pas le quotient intellectuel. 

LA MORPHOLOGIE CEREBRALE DANS L’ADOLESCENCE

Pendant l’adolescence, le cerveau se développe tant d’un point de vue anatomique que fonctionnel. Cette maturation dure longtemps et ne s’achève que vers l’âge de 25 ans. Durant cette période, un stress prolongé et intense va se traduire par des modifications de fonctionnement, mais aussi va altérer le développement de certaines zones qui sont encore en pleine maturation. Ces problèmes de développement vont concerner plusieurs zones du cerveau qui sont justement impliquées dans la réponse à l’alcool*. 

Comme ces zones vont moins bien fonctionner, l’alcool aura moins d’effet anti-stress ce qui va se traduire par le besoin de consommations plus importantes pour avoir un même effet. 

Or, à l’adolescence, les cerveaux des filles et des garçons ont certaines différences fonctionnelles qui semblent expliquer la susceptibilité accrue des jeunes filles à l’alcool pour combattre les états émotionnels négatifs. 

LE CERVEAU À L’ÂGE ADULTE

Des différences entre les cerveaux féminins et masculins persistent à l’âge adulte avec donc toujours plus de susceptibilité à consommer de l’alcool chez les femmes pour combattre le stress. En effet, il existe des interactions entre les réseaux neurologiques du stress et ceux qui conditionnent la réponse à l’alcool. De plus, il existe des changements liés au stress dans les circuits de la récompense qui sont excités par les prises d’alcool. 

Cela se traduit par plus de réponse alcool au stress chez les femmes avec :

  • Un début de troubles de l’usage plus précoce 
  • Plus de « craving » (c’est-à-dire des envies violentes et irrépressibles d’alcool)
  • Plus de « binge drinking » (consommations excessives en un temps court)
  • Plus d’usage problématique et de dépendance à l’alcool 
  • Plus de risque de rechute chez les femmes qui essaient de diminuer leur consommation

Il n’est pas étonnant qu’il y ait plus souvent chez les femmes consommatrices (par rapport) aux hommes) des co-morbidités psychiatriques : plus de dépression, plus de troubles anxieux, plus de stress post-traumatique.

En effet, les femmes ont des raisons « neurologiques » de répondre plus fréquemment que les hommes aux états émotionnels négatifs par une consommation d’alcool. 

Mais il existe au moins une autre cause de vulnérabilité : une spécificité hormonale.

LES HORMONES SEXUELLES FAVORISENT LE LIEN ENTRE STRESS ET ALCOOLISATION

Une différence physiologique importante entre les femmes et les hommes est la différence de production hormonale. Or, les deux principales hormones ovariennes modifient la réponse au stress. 

Tout d’abord, la progestérone pourrait contribuer à l’effet anxiolytique de l’alcool chez les femmes, ce qui évidemment est un facteur favorisant la consommation en cas de stress ou syndrome anxieux. 

D’autre part, les estrogènes pourraient interagir dans les circuits neurologiques responsables de la motivation pour la récompense, ce qui n’est pas le cas chez l’homme. Les estrogènes favorisent donc les prises d’alcool, et il est démontré que les femmes qui ont des taux élevés d’estrogènes consomment plus d’alcool que celles qui ont des taux plus bas. On sait aussi que la consommation d’alcool peut varier en fonction du moment du cycle menstruel.

Ainsi, les hormones ovariennes peuvent favoriser la consommation d’alcool, en particulier lorsqu’il existe des antécédents de stress et de difficulté de régulation des émotions.

EN RÉSUMÉ :

Que faut-il retenir de ces données ?

Les états émotionnels négatifs de même que les antécédents de stress sévères favorisent la consommation d’alcool de façon plus importante chez les femmes que chez les hommes. 

Cela semble lié à des différences neurologiques tant dans la jeunesse qu’âge adulte. Il semble aussi que les hormones ovariennes jouent un rôle important dans cette susceptibilité féminine. 

Il vous faut donc être très vigilante si vous souffrez de dépression, de troubles anxieux ou de stress actuellement ou si vous en avez souffert dans vos antécédents, même lointain. Il faut vous occuper de vous et ne pas hésiter à consulter au moindre doute afin de développer et renforcer des stratégies d’adaptation et de régulation des émotions.

Soigner votre humeur diminue les risques de consommation excessive d’alcool. Et bien sûr, il faut éviter d’avoir une consommation excessive d’alcool qui est pour sa part responsable de troubles de l’humeur et donc entretien un cercle vicieux.

*Pour information, les zones dont nous parlons sont principalement le corps calleux, le cortex cingulaire antérieur, l’amygdale, l’hippocampe