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Bientôt des avancées dans le traitement du binge drinking !

Nous avons déjà évoqué le binge drinking dans un précédent blog, cette modalité de consommation intense, explosive qui se produit sur une durée courte. Il existe plusieurs définitions, mais on peut retenir que cela correspond chez l’homme et la femme à des consommation supérieures ou égales à respectivement 7 et 6 verres d’alcool, et cela pendant un intervalle de moins de 2 heures. 

Le fait de consommer de cette manière favorise la survenue de taux d’alcool très important dans la circulation sanguine ce qui augmente significativement le risque de toxicité. En effet, et il est toujours bon de le rappeler, la toxicité de l’alcool est dose-dépendante. Donc, plus il y en a et plus c’est toxique.

Ce mode de consommation est donc toxique, mais il est vraiment préoccupant chez les adolescents et les adultes jeunes. En effet, ces consommations excessives favorisent les risques d’accidents de la voie publique et la survenue d’un état de vulnérabilité. Cette vulnérabilité peut se traduire par des violences subies, qu’elles soient physiques ou sexuelles. Il ne faut pas oublier que la consommation excessive d’alcool augmente le risque d’être victime de violence, mais aussi auteur de violence, notamment sexuelle. Profitons de ce texte pour rappeler que l’alcool est la première drogue du violeur très loin devant les benzodiazépines ou le GHB.

Il existe aussi bien sûr des risques de toxicité aiguë sur certains organes dont le cœur et le cerveau. Le cerveau est un organe qui continue à se développer longtemps dans la vie et qui n’atteint sa maturité qu’à l’âge de 25 ans environ. De plus, les dernières zones qui vont atteindre la maturité sont situées dans la région frontale. Elles correspondent aux zones de prises de décision, celles qui nous aident par exemple à gérer notre alimentation et à éviter de manger trop de gâteaux ou de sucreries. 

On comprend donc aisément pourquoi on peut plus facilement prendre de mauvaises décisions quand on est jeune (il n’est pas nécessaire de faire beaucoup d’efforts de mémoire pour trouver des exemples chez chacun d’entre nous). 

Le fait d’avoir du binge drinking de façon précoce favorise par ailleurs la survenue de dépendance à l’alcool plus tard avec toutes les conséquences négatives chroniques.

Enfin (bien sur ces informations ne sont pas exhaustives), le binge drinking chez les jeunes favorisent le risque de développer des troubles cognitifs, notamment des troubles des fonctions suivantes : capacités de mémorisation, de concentration et d’apprentissage. Ces troubles sont gênants pour tout le monde, mais prennent un relief particulier chez les étudiants, puisqu’il s’agit de cerveaux jeunes (donc fragiles) qui doivent acquérir chaque jour de nouvelles connaissances (donc être opérationnels). Par ailleurs, les troubles cognitifs ne sont pas visibles initialement, et donc sont volontiers négligés.

L’ensemble de ces données incite à imaginer des soins spécifiques « anti binge drinking » pour les jeunes et bien sûr, pour les moins jeunes. Concernant les étudiants, il existe des actions menées par les pairs (autres étudiants qui se mobilisent contre l’alcool) qui donnent des résultats intéressants. Cela reste toutefois insuffisant et nous avons souhaité proposer une aide supplémentaire grâce à une application médicale, ce type d’outil étant bien adapté aux jeunes consommateurs.

Nous avons déjà créé une application médicale qui a pour objectif d’aider les consommateurs réguliers excessifs à diminuer leur consommation (App MyDéfi). Le programme de soins de MyDéfi, dans sa forme actuelle, n’est pas spécifique de la problématique du binge-drinking.

Afin de pouvoir développer et évaluer un programme binge-drinking, nous avons participé à un concours organisé par l’Institut de Recherche en Santé Publique (IReSP).

Notre projet a été sélectionné, ce qui démontre son intérêt. Cela va nous permettre, non seulement de créer un programme spécifique, mais encore de le tester dans la « vraie vie » sur un échantillon d’étudiants. 

Ce projet collaboratif très ambitieux est porté par plusieurs partenaires : une équipe INSERM de l’Université de Picardie Jules Verne, l’équipe d’Addictologie clinique du CHU de Nîmes, une équipe de recherche en Neuropsychologie de l’Université Paul Valéry Montpellier 3 et des développeurs.

Actuellement, il n’existe pas d’application médicale fonctionnelle dans cette indication et c’est pourquoi, voir ce projet sélectionné par l’IReSP nous semble être une nouvelle très importante. Cela va nous permettre d’atteindre les objectifs fixés durant la période d’étude de 2ans. Nous communiquerons au fur et à mesure les avancées de ce projet novateur qui pourrait à terme amener un nouvel outil d’aide pour de nombreux consommateurs. 

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Alcool Femmes Traitements

Binge Drinking au féminin: facteurs de risque et pistes pour une meilleure prise en charge

Nous avons déjà évoqué un mode de consommation particulier qui est le binge drinking. Classiquement, il est admis que le binge drinking touche plus les hommes que les femmes. Le résumé de toutes les études faites dans différents pays du monde, montrent qu’il existe toujours beaucoup moins de binge drinking chez les femmes que chez les hommes, et cela se vérifie pour toutes les tranches d’âge. Pour autant, la fréquence binge drinking chez les femmes augmente progressivement et rejoint celle les hommes. De plus, le risque potentiel de complications sévères justifie que l’on s’intéresse spécifiquement au binge drinking au féminin.

Dans ce texte, nous souhaitons insister sur certaines spécificités féminines du binge drinking pour deux principales raisons. Tout d’abord parce qu’il existe une fragilité métabolique des femmes face à l’alcool qui se traduit donc par un risque plus élevé de complications en cas de binge drinking. Deuxièmement, parce qu’il existe des facteurs favorisants spécifiques qui ont été étudiés chez les femmes et qu’il faut connaître car ils sont accessibles à certains traitements.

Dans un blog précédent, nous avions souligné les différences de définitions concernant le binge drinking, en particulier féminin. Sans revenir sur ce débat complexe, nous pourrions admettre que cela concerne les femmes qui consomment au moins 6 verres en une occasion, sur une durée de 2 heures maximum. Toutefois, si vous ne consommez « que » 5 verres, voire 4 dans le même intervalle de temps, ce qui suit pourrait aussi vous concerner. 

La première question que nous pouvons nous poser est la suivante : existe-t-il des facteurs de risque de développement du binge drinking chez les femmes ? Le corolaire à cette question est : comment utiliser ces facteurs de risque pour améliorer la prise en charge des femmes ? 

FACTEURS DE RISQUE DE DÉVELOPPER DES ÉPISODES DE BINGE DRINKING À L’ÂGE ADULTE

Les premiers facteurs de risque correspondent au début de la consommation d’alcool

  • Début précoce de l’alcool

Un début précoce de la consommation, pendant l’adolescence augmente le risque d’avoir des épisodes de bring drinking à l’âge adulte. La définition d’un début précoce à l’adolescence est variable dans les études disponibles, mais correspond à une consommation régulière à un âge compris entre 14 et 17 ans. Un début précoce est un facteur de risque chez les hommes, mais il est encore plus important chez les femmes.

  • L’existence de binge drinking pendant l’adolescence

Ces expériences représentent clairement une forme d’initiation qui se répétera ensuite à l’âge adulte. 

  • Maltraitance pendant l’enfance

Ce terme peut réunir des réalités très différentes, allant de la négligence aux violences physiques ou  sexuelles. Les antécédents de maltraitance favorisent la survenue de différentes complications à l’âge adulte, incluant des troubles psychologiques et addictifs. 

Les jeunes filles sont plus à risque de violences sexuelles, les jeunes garçons sont plus à risque de violences physiques. 

Chez les femmes, le fait d’avoir été négligées pendant l’enfance est un facteur de risque important de binge drinking (qu’il y ait eu ou pas d’autres types d’abus). 

L’existence d’abus sexuel dans l’enfance favorise le binge drinking, particulièrement chez les femmes.

Il existe aussi des facteurs de risque psychologiques et comportementaux. 

  • Certains traits psychologiques

Certains traits de personnalité favorisent la dépendance à l’alcool. Il s’agit en particulier de l’impulsivité, de la recherche de sensations fortes et de prises de risque. Ces traits de personnalité sont plus fréquemment présents chez les hommes (les « casse-cous » toujours prêts à essayer des choses dangereuses), mais ils favorisent aussi le binge drinking chez les femmes qui ont ces traits de caractère.

  • L’anxiété et la dépression

Ces deux troubles psychologiques qui favorisent les mésusages d’alcool sont plus fréquent chez les femmes que chez les hommes. C’est pourquoi, il est particulièrement importants de les dépister en cas de binge drinking au féminin.

  • Le tabagisme

Chez les jeunes, il y a une association claire entre le tabagisme et l’existence de binge drinking. Chez les adultes, le tabagisme augmente le risque d’avoir du binge drinking, surtout chez les femmes. Dans une étude faite à Hong Kong, le tabagisme multipliait le risque de binge drinking chez l’homme par 3,7 et par 12,3 chez les femmes, ce qui est vraiment plus important.

Nous ne parlerons pas aujourd’hui des conséquences sur la santé physique et mentale du binge drinking , mais celui-ci est potentiellement très toxique et doit donc être éliminé autant que possible. C’est encore plus vrai chez les femmes car les épisodes de binge drinking sont plus toxiques pour elles. 

Les facteurs de risque d’avoir des épisodes à répétition de binge drinking donnent des pistes supplémentaires pour modifier son comportement. En effet, outre le traitement spécifiquement alcoologique de ces épisodes, il est très important de travailler sur les facteurs de risque.

En pratique, quelles sont les pistes de réflexion ? 

Tout d’abord : savoir repérer ces facteurs de risque. 

Ai-je commencé à consommer de façon régulière ou importante lorsque j’étais encore adolescente ? 

Est-ce que je recherchais déjà l’ivresse ?

Ai-je vécu à plusieurs reprises des épisodes de « biture express », avec éventuellement des épisodes de trous noirs ? 

Est-ce que j’aime prendre des risques ? 

Est ce que je recherche des sensations particulièrement intenses ? 

Certains membres de ma famille (parmi mes parents, mes grands-parents) ont-ils eu des problèmes d’alcool ? 

Si vous répondez oui à au moins une de ces questions, vous devez vous considérer comme fragile et à risque de perdre le contrôle et d’avoir des épisodes de binge drinking. 

Cela est important dans une optique de prévention : vous êtes à risque de développer des épisodes de binge drinking, voire une dépendance à l’alcool. 

Interrogez-vous donc sur votre consommation actuelle et au moindre doute demandez conseil.

Les autres facteurs de risque que nous avons cités sont très important aussi à identifier car ils peuvent justifier d’un traitement en association à démarche alcoologique.

Les troubles anxieux, une dépression doivent être traités. 

De même, il existe des stratégies de soin permettant de soulager la douleur d’un antécédent traumatique. Il y a probablement des intervenants spécialisés autour de chez vous. 

Enfin, un dernier, mais très important conseil : il faut tout faire pour ne pas fumer, car le tabac appelle l’alcool et favorise les rechutes après les sevrages. 

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Alcool Traitements

EN CAS DE SEVRAGE ALCOOLIQUE, FAUT-IL SE MÉFIER DES BENZODIAZÉPINES ?

Le sevrage alcoolique est un des outils de prise en charge possible chez certains patients ayant un problème d’alcool. Dans ce cas, un traitement médicamenteux par benzodiazépine peut être proposé. Nombreux sont ceux qui se questionnent quant à la pertinence de ces médicaments et de leurs éventuels effets négatifs. Ce questionnement est tout à fait justifié et mérite une courte mise au point sous forme de 4 questions réponses. 

1°) QUELS SONT LES OBJECTIFS DU SEVRAGE ? 

L’objectif du sevrage est, pour le consommateur, l’arrêt de l’alcool pour entrer dans un processus d’abstinence. 

Pour le soignant, l’objectif est d’assurer cet arrêt dans de bonnes conditions de confort et de sécurité.

Les « bonnes conditions de confort » sont essentielles car elles vont rendre l’arrêt de l’alcool moins difficile. En effet, les premiers jours sont parfois compliqués pour certains patients. De plus, cela permettra de faire du sevrage une expérience positive et valorisante = je m’en sors bien, ce n’est pas trop difficile et je sens bien que je vais dans la bonne direction.

Les bonnes conditions de sécurité signifient que la prise en charge doit permettre de limiter les signes de sevrages (voir tableau 1) et surtout d’éviter la survenue d’un syndrome de sevrage sévère (voir tableau 2).

C’est en s’appuyant sur ces objectifs fondamentaux que les modalités thérapeutiques sont mises en œuvre. 

 TABLEAU 1 : SIGNES DE SEVRAGES

Troubles subjectifs Anxiété, agitation, irritabilité, insomnies, cauchemars
Troubles neurovégétatifs Sueurs, tremblements, tachycardie, hypertension artérielle
Troubles digestifs Anorexie, nausées, vomissements

TABLEAU 2 : SIGNES DE SEVRAGE SÉVÈRES

Confusion, c’est à dire troubles de concentration, mémoire, et/ou jugement
Hyperthermie (température augmentée)
Hallucinations
Delirium tremens
Convulsions

2°) QUEL EST L’INTÉRÊT DE LA PRESCRIPTION DE BENZODIAZEPINES ? 

La prescription de benzodiazépine a pour objectif d’éviter (ou de maintenir à un niveau très bas) les signes de sevrage. 

Il est très important d’insister sur le fait que des signes de sevrage peuvent survenir, même s’il n’y a pas d’arrêt total d’alcool. En effet, en cas de forte consommation, une diminution importante sans arrêt total peut se compliquer de signes de sevrage.   

La prescription de benzodiazépines évite aussi le risque d’évolution vers un sevrage sévère lorsqu’il y a déjà quelques symptômes. Entre parenthèse, il y a une scène de delirium tremens très impressionnante, jouée par Yves Montand dans le film « Le cercle Rouge » (le reste du film est aussi très bien…).

D’ailleurs, depuis la généralisation de la prescription de benzodiazépine comme traitement préventif lors des sevrages hospitaliers, il n’y a quasiment plus de delirium tremens dans les unités d’addictologies, ce qui démontre leur grande efficacité.

Les benzodiazépines choisies sont celles qui ont une ½ vie longue, c’est à dire celles dont l’absorption ne s’accompagne pas de taux très élevés dans le sang suivis peu après par des taux très bas (ce qui est très inconfortable pour le patient et difficile à gérer pour le médecin).

3°) QUELS SONT LES RISQUES DES BENZODIAZEPINES ?

Les benzodiazépines sont des médicaments potentiellement addictogènes. On comprend donc dans ces conditions celles et ceux qui ont peur d’abandonner une drogue pour développer une dépendance à une autre. Pour être exhaustif, il faut aussi dire aussi qu’il est plus long et plus difficile de se « débarrasser » d’une dépendance aux benzodiazépines que d’une dépendance à l’alcool.

De plus, les benzodiazépines consommées au long cours pourraient avoir une toxicité cérébrale. Là aussi, il est donc sain de s’en méfier.

Toutefois, ces deux effets secondaires ne vont survenir qu’en cas de prescription prolongée. Or, pour un sevrage, les sociétés savantes préconisent une durée de traitement autour de 7 jours. Si cela est respecté, il n’y a aucun risque de développer une dépendance ou une toxicité cérébrale. La prescription de benzodiazépines ne sera maintenue au-delà du délai de 7 jours que s’il existe une indication psychiatrique, par exemple un trouble anxieux. Cependant le traitement au long court des troubles anxieux ne doit pas reposer sur les benzodiazépines.

Enfin, il faut parler d’un troisième risque qui est l’association d’une benzodiazépine à l’alcool. On note parfois chez certaines personnes qui re-consomment de l’alcool après sevrage la prise concomitante de benzodiazépine (qui devrait pourtant être stoppée). Cette association peut donner des troubles de la vigilance et favoriser tous types d’accidents. 

Ces trois problèmes potentiels ne surviennent jamais lorsque le traitement est stoppé dans les 7 jours ainsi que recommandé. 

4°) COMMENT GÉRER AU MIEUX LES DOSES DE BENZODIAZEPINES ? 

Tout d’abord, il faut préciser qu’un traitement par benzodiazépines n’est pas toujours indiqué. En l’absence de tout signe de dépendance physique et sous réverse d’une surveillance étroite, l’arrêt de l’alcool peut se faire sans médicament. Les consommateurs qui arrêtent seuls le savent bien. 

Toutefois, il faut toujours être vigilant et le moindre symptôme justifie la prescription de benzodiazépine.

Il s’agit généralement de doses qui sont rapidement régressive pour arriver à l’arrêt vers le 7e jour. Bien sûr, les adaptations de posologie ne doivent se faire qu’avec une surveillance médicale.

On peut osciller entre le sous-dosage (qui se traduit par des signes de manque) et le sur-dosage (qui se traduit par une somnolence). Cette période de sevrage accompagnée par des benzodiazépines n’est pas le bon moment pour des activités à risque telles que bricoler sur le toit ou conduire sa voiture.

Pour être complet, il faut préciser que d’autres traitements sont volontiers proposés au moment du sevrage, telles les vitamines B1, voire B1 + B6. Ces traitements peuvent être très importants chez certains patients mais ils ne remplacent pas les benzodiazépines car ils ne préviennent pas les signes de sevrage et le delirium tremens.

EN CONCLUSION, les BENZODIAZEPINES sont souvent très utiles pour aider au sevrage alcoolique. Leur prescription peut même être indispensable dans certains. Elles ne présentent pas de risque (sauf un peu de somnolence) si leur prescription suit les recommandations officielles, c’est-à-dire sont limitées à une courte période

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STRESS ET CONSOMMATION D’ALCOOL CHEZ LA FEMME

Femmes et Alcool – épisode 2

Les 10 années qui viennent de s’écouler, la fréquence des problèmes d’alcool augmente plus vite chez les femmes que chez les hommes : précisément 2,5 fois plus vite. À l’échelle d’une population, il s’agit de chiffres très importants. Cette différence ne peut donc pas être due simplement au hasard et il est donc fondamental d’en comprendre les raisons. 

Une des causes majeures suspectée est que les consommations féminines excessives sont volontiers motivées par le besoin de réguler des états émotionnels négatifs et des antécédents d’évènements de vie perturbants et traumatiques. 

Il est en effet bien démontré que les états émotionnels négatifs sont associés à toutes les phases de l’addiction à l’alcool, c’est-à-dire :

À l’initiation de la consommation

À la poursuite de la consommation 

Aux éventuelles rechutes 

Cela est vrai pour les hommes et les femmes, mais l’impact des états émotionnels négatifs est beaucoup plus important chez les femmes. Entre parenthèses, il existe d’autres domaines de la maladie alcoolique dans lesquels on observe une grande susceptibilité féminine, ce qui sera l’objet de prochains textes. 

L’ÉTAT ÉMOTIONNEL DANS L’ADOLESCENCE ET L’INITIATION DE LA CONSOMMATION

Ce qui nous arrive dans l’enfance ou l’adolescence nous marque particulièrement. Pendant ces périodes, ceux qui ressentent de façon prolongée des émotions négatives ont plus de risque de commencer l’alcool précocement et surtout d’aller vers des consommations plus fréquentes et importantes. Par exemple, il a été montré que chez des adolescents âgés de 15 à 18 ans, l’importance des symptômes de dépression était associée à des débuts de consommation plus précoce et des risques accrus d’évoluer vers la dépendance. 

Cela est vrai chez les garçons et les filles, mais l’association entre des difficultés émotionnelles et la prise d’alcool est plus forte chez les filles. Donc, le risque de boire de l’alcool pour faire face à un état émotionnel négatif est plus important chez les filles.

De même, la maltraitance dans l’enfance est un facteur bien documenté de risque de plusieurs pathologies à l’âge adulte incluant le mésusage d’alcool. Là encore, les jeunes femmes ont au moins 2 fois plus de risque de développer un mésusage d’alcool que les hommes de leur âge après avoir subi dans l’enfance un abandon affectif, une maltraitance psychologique ou un abus sexuel. 

Donc, il y a plus d’impact et plus de risque d’aller vers l’alcool pour se défendre d’états émotionnels négatifs chez les femmes que chez les hommes. Cela n’est pas lié à une moindre compétence ou force morale chez les femmes, mais à des différences neurobiologiques présentes dans l’adolescence, différences qui commencent à être bien documentée. Il n’est bien sûr, pas utile de préciser que les circuits neurobiologiques qui différent ne représentent pas le quotient intellectuel. 

LA MORPHOLOGIE CEREBRALE DANS L’ADOLESCENCE

Pendant l’adolescence, le cerveau se développe tant d’un point de vue anatomique que fonctionnel. Cette maturation dure longtemps et ne s’achève que vers l’âge de 25 ans. Durant cette période, un stress prolongé et intense va se traduire par des modifications de fonctionnement, mais aussi va altérer le développement de certaines zones qui sont encore en pleine maturation. Ces problèmes de développement vont concerner plusieurs zones du cerveau qui sont justement impliquées dans la réponse à l’alcool*. 

Comme ces zones vont moins bien fonctionner, l’alcool aura moins d’effet anti-stress ce qui va se traduire par le besoin de consommations plus importantes pour avoir un même effet. 

Or, à l’adolescence, les cerveaux des filles et des garçons ont certaines différences fonctionnelles qui semblent expliquer la susceptibilité accrue des jeunes filles à l’alcool pour combattre les états émotionnels négatifs. 

LE CERVEAU À L’ÂGE ADULTE

Des différences entre les cerveaux féminins et masculins persistent à l’âge adulte avec donc toujours plus de susceptibilité à consommer de l’alcool chez les femmes pour combattre le stress. En effet, il existe des interactions entre les réseaux neurologiques du stress et ceux qui conditionnent la réponse à l’alcool. De plus, il existe des changements liés au stress dans les circuits de la récompense qui sont excités par les prises d’alcool. 

Cela se traduit par plus de réponse alcool au stress chez les femmes avec :

  • Un début de troubles de l’usage plus précoce 
  • Plus de « craving » (c’est-à-dire des envies violentes et irrépressibles d’alcool)
  • Plus de « binge drinking » (consommations excessives en un temps court)
  • Plus d’usage problématique et de dépendance à l’alcool 
  • Plus de risque de rechute chez les femmes qui essaient de diminuer leur consommation

Il n’est pas étonnant qu’il y ait plus souvent chez les femmes consommatrices (par rapport) aux hommes) des co-morbidités psychiatriques : plus de dépression, plus de troubles anxieux, plus de stress post-traumatique.

En effet, les femmes ont des raisons « neurologiques » de répondre plus fréquemment que les hommes aux états émotionnels négatifs par une consommation d’alcool. 

Mais il existe au moins une autre cause de vulnérabilité : une spécificité hormonale.

LES HORMONES SEXUELLES FAVORISENT LE LIEN ENTRE STRESS ET ALCOOLISATION

Une différence physiologique importante entre les femmes et les hommes est la différence de production hormonale. Or, les deux principales hormones ovariennes modifient la réponse au stress. 

Tout d’abord, la progestérone pourrait contribuer à l’effet anxiolytique de l’alcool chez les femmes, ce qui évidemment est un facteur favorisant la consommation en cas de stress ou syndrome anxieux. 

D’autre part, les estrogènes pourraient interagir dans les circuits neurologiques responsables de la motivation pour la récompense, ce qui n’est pas le cas chez l’homme. Les estrogènes favorisent donc les prises d’alcool, et il est démontré que les femmes qui ont des taux élevés d’estrogènes consomment plus d’alcool que celles qui ont des taux plus bas. On sait aussi que la consommation d’alcool peut varier en fonction du moment du cycle menstruel.

Ainsi, les hormones ovariennes peuvent favoriser la consommation d’alcool, en particulier lorsqu’il existe des antécédents de stress et de difficulté de régulation des émotions.

EN RÉSUMÉ :

Que faut-il retenir de ces données ?

Les états émotionnels négatifs de même que les antécédents de stress sévères favorisent la consommation d’alcool de façon plus importante chez les femmes que chez les hommes. 

Cela semble lié à des différences neurologiques tant dans la jeunesse qu’âge adulte. Il semble aussi que les hormones ovariennes jouent un rôle important dans cette susceptibilité féminine. 

Il vous faut donc être très vigilante si vous souffrez de dépression, de troubles anxieux ou de stress actuellement ou si vous en avez souffert dans vos antécédents, même lointain. Il faut vous occuper de vous et ne pas hésiter à consulter au moindre doute afin de développer et renforcer des stratégies d’adaptation et de régulation des émotions.

Soigner votre humeur diminue les risques de consommation excessive d’alcool. Et bien sûr, il faut éviter d’avoir une consommation excessive d’alcool qui est pour sa part responsable de troubles de l’humeur et donc entretien un cercle vicieux.

*Pour information, les zones dont nous parlons sont principalement le corps calleux, le cortex cingulaire antérieur, l’amygdale, l’hippocampe

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FEMMES, À ÉGALITÉ FACE À L’ALCOOL ?

Femme et alcool – épisode 1

On entend régulièrement dire que les femmes sont plus sensibles à l’alcool que les hommes. Ce qui voudrait dire qu’à quantité égale bue, il y aurait plus de toxicité pour une femme, ce qui semble paradoxal alors même que certaines normes de consommation sont identiques pour les 2 sexes (voir normes de Santé Publique France dans la page d’entrée).  

Est-ce une forme de stigmatisation de l’alcoolisme féminin lié à des représentations sociales d’un autre temps ou cela correspond-il à une réalité scientifique incontestable ? Il existe des éléments de réponses qui nous permettent de nous faire une idée plus claire sur l’existence ou non d’une différence de vulnérabilité féminine.

Il s’agit d’une question d’autant plus d’actualité que la différence de consommation entre les deux sexes tend à diminuer. Une différence nette de consommation n’existe que dans certains pays dans lesquels l’accès aux drogues (même légales) est plus difficile pour les femmes que pour les hommes. De plus l’écart femme homme a quasiment disparu chez les adolescents.

Pourtant, l’entrée dans le soin alcoologique reste plus compliqué chez les femmes avec souvent la peur d’être stigmatisée comme femme et/ou comme mère. C’est pourquoi, il est indispensable d’apporter des informations objectives pour permettre aux femmes consommatrices d’être renseignées au mieux et d’avancer.

FEMMES ET METABOLISME 

Tout d’abord, il est bien démontré que l’alcool circulant dans le sang dépend du poids corporel. Or, les poids moyen des femmes étant en moyenne plus bas, pour une consommation équivalente, les pics d’alcoolémies seront plus élevés chez les femmes avec comme conséquence une quantité d’alcool plus importante qui diffusera dans différents tissus. 

D’autre part, à poids corporel équivalent, une femme et un homme n’auront pas la même répartition d’eau (un peu moins) et de graisse (un peu plus) dans le corps. Cela signifie qu’à même dose d’alcool par unité de poids, les pics d’alcoolémies seront plus importants chez une femme que chez un homme.  

Troisième point métabolique à aborder. Il existe dans l’estomac des enzymes qui métabolisent l’alcool, ce qui permet de réduire la quantité absorbée. La concentration en enzyme est moins importante que dans le foie, mais joue néanmoins un rôle non négligeable. Or, ce premier métabolisme gastrique est plus efficace chez les hommes car ils ont plus de concentration d’enzymes. En d’autres termes, cela concourt aussi à provoquer des intoxications plus sévères chez les femmes à quantités consommées équivalentes. Enfin, pour clore ce chapitre, chez les femmes qui consomment de l’alcool de façon chronique, ce premier métabolisme est encore plus altéré et ne joue plus qu’un rôle minime dans l’épuration de l’alcool. 

FEMMES ET SYSTÈME DE RÉCOMPENSE

L’alcool, comme le tabac ou d’autres drogues, de même que certains comportements addictifs (tels que le jeu pathologique) agit sur notre circuit de la récompense et du plaisir. La stimulation de ce circuit est produite par la dopamine qui est, du coup, souvent qualifiée « d’hormone du plaisir ». Or, il existe de plus en plus de données qui suggèrent que l’action de la dopamine est modulée par des hormones ovariennes, notamment les estrogènes.

C’est une explication possible permettant de comprendre pourquoi les femmes ont tendance à progresser plus vite du début de la consommation jusqu’aux consommations excessives d’alcool et vers des problèmes liés à ces substances.

De même cela pourrait expliquer pourquoi certaines femmes ont des taux de rechutes très importants après avoir fait une démarche alcool. 

CONCLUSION

Pour conclure, il y a donc plusieurs arguments pour affirmer de façon claire qu’il existe une susceptibilité supérieure à l’alcool chez les femmes par comparaison aux hommes. On sait de plus qu’il existe pour nous plus de barrières spécifiques d’entrée dans le soin ; perception d’une stigmatisation plus importante, responsabilités de mère, faible support familial dans bien des cas. Tournons cette information à notre avantage et suivons l’adage suivant : 

PLUS À RISQUE DOIT SE TRADUIRE PAR PLUS DE VIGILANCE

Enfin, certaines des réponses données dans ce texte ne sont pas seulement vraie pour l’alcool, mais aussi pour d’autres produits psycho-actifs (tels que la cocaïne) : ce sera le sujet d’autres textes. Je reviendrai aussi sur d’autres spécificités concernant l’alcool et les femmes qu’il faut connaître pour gérer au mieux sa consommation.